Le Généraliste a publié le 09 janvier 2020 une interview de Nicolas Revel, Directeur Général de la Caisse nationale d’assurance maladie.
Reconduit pour cinq ans à la tête de la Caisse nationale d’assurance maladie, Nicolas Revel confie en exclusivité au Généraliste les priorités de son nouveau mandat, parmi lesquelles figure l’accès aux soins. Sur les 5,4 millions de Français sans médecin traitant en 2019, la moitié était en recherche réelle d’un praticien attitré, observe-t-il. La Cnam souhaite faire progresser le nombre de patients pris en charge par un médecin généraliste traitant, dont la médiane est de 850 personnes. Nicolas Revel défend les actions déjà menées avec la profession sur le terrain pour y parvenir, comme le déploiement des assistants médicaux (500 premiers recrutements en cours) ou les CPTS. « Nous voulons faciliter l’évolution des modes d’exercice et aider les médecins à travailler dans de meilleures conditions », assure-t-il.
Vous avez été reconduit, il y a quelques semaines, à la direction générale de la Cnam. Qu’est-ce qui vous motive dans ce job ?
Nicolas Revel : Diriger l’Assurance maladie est l’une des plus belles missions publiques qui soit. Deux choses m’ont conduit à solliciter un deuxième mandat : un fort attachement à cette institution et à ses collaborateurs mais aussi la conviction qu’il ne peut y avoir de transformation que si on s’inscrit dans la durée. Mener des évolutions structurelles suppose de la continuité mais aussi de construire une relation de dialogue et de confiance avec les interlocuteurs de la Cnam, notamment les représentants des professions de santé.
G.frQuels enjeux majeurs pour l’avenir du système de santé devraient marquer votre second mandat
N.R. :Nous connaissons le principal défi à relever : adapter notre système de santé au vieillissement de la population. Nous serons confrontés à un autre sujet majeur, la crise de la démographie médicale. Le nombre de médecins généralistes va continuer de diminuer dans les dix prochaines années. Cela se traduit déjà par une très forte pression sur l’accès aux soins et sur les conditions d’exercice. L’enjeu est que le système de santé tienne pendant ce creux démographique et pour cela, qu’il se transforme pour faciliter un exercice plus collectif, décloisonné, mieux coordonné.
De plus en plus de Français ont des difficultés à trouver un médecin traitant. Selon une enquête de l’UFC-Que Choisir, 44 % des généralistes refusent de prendre de nouveaux patients. Cela vous préoccupe-t-il ?
N.R. :Évidemment ! Il y a toujours eu, au cours des dernières années, environ 10 % de patients sans médecin traitant. En 2019, c’était le cas de 5,4 millions de patients. Parmi eux, une part de patients plutôt jeunes et bien portants n’ont pas cherché à en trouver un. On observe en revanche que plus de la moitié de nos concitoyens sans médecin traitant sont en recherche réelle d’un praticien attitré, faute souvent d’avoir pu en retrouver un au moment du départ à la retraite de leur généraliste.
Nous sommes très attentifs à cette situation. D’autant que parmi les personnes concernées figure un nombre significatif de patients en ALD, de plus de 70 ans ou souffrant d’une pathologie chronique. On sait qu’un patient sans médecin traitant accède en moyenne deux fois moins à une consultation de médecine générale. Si nous ne faisons rien, cette tendance va s’accroître inéluctablement dans les prochaines années. Nous devons donc nous organiser collectivement pour que ce ne soit pas le cas.
Cela signifie-t-il qu’il faut revoir le dispositif de médecin traitant mis en place en 2005, qui est un passage obligé pour un meilleur remboursement ?
N.R. :Certainement pas ! Nous voulons maintenir la place et le rôle du médecin traitant dans l’organisation de notre système de santé. L’enjeu majeur des prochains temps sera d’améliorer la prévention et de renforcer le suivi des pathologies chroniques. Plutôt que de fragiliser le modèle du médecin généraliste traitant, il faut au contraire le conforter et accepter que le non-respect du parcours de soins continue d’être sanctionné par un moindre remboursement. Pour autant, l’Assurance maladie doit tenir compte aussi de la réalité. Pénaliser des assurés qui cherchent mais ne trouvent pas de médecin traitant reviendrait à leur appliquer une forme de double peine. Chaque Cpam a donc identifié les patients dans cette situation et pris les mesures pour qu’ils ne soient pas impactés.
Avez-vous envisagé de fixer un seuil minimal de patients qu’un médecin traitant devrait prendre en charge ?
N.R. :Non, nous n’avons jamais voulu fixer une telle norme. Tous les médecins ne travaillent pas à plein temps, certains concilient d’autres activités médicales en dehors de leur exercice libéral et d’autres, en début de carrière, ne souhaitent pas travailler 5 jours par semaine. Il serait très compliqué de fixer un seuil.
Avez-vous déjà des pistes pour permettre d’accroître la patientèle médecin traitant ?
N.R. :C’est certainement la solution à privilégier dans les prochaines années. À une condition évidemment : ne pas peser sur les conditions d’exercice des généralistes. Cela passe par plus de soutien administratif et davantage d’exercice collectif et pluriprofessionnel. C’est l’objectif poursuivi par le déploiement des assistants médicaux, des infirmières en pratique avancée ou encore des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Aujourd’hui, la médiane est de 850 patients par médecin généraliste traitant. L’idéal serait que ce chiffre progresse pour répondre à la baisse du nombre des professionnels et à l’augmentation de la population. Y parvenir sera d’autant plus exigeant que les médecins qui partent à la retraite ont parfois de grosses patientèles, là où les nouvelles générations qui s’installent ne veulent plus travailler 70 heures par semaine.
Les premiers contrats d’assistants médicaux ont été signés ces derniers mois. Observez-vous un engouement des médecins pour ce nouveau métier ?
N.R. : Depuis septembre, un peu plus de 500 contrats ont été signés ou sont en passe de l’être (238 signés et 271 en cours), soit 100 de plus qu’il y a quinze jours. Nous observons une réelle dynamique. J’ai la conviction qu’elle va durer. Le retour d’expérience des premiers médecins ayant embauché un assistant médical est en effet très positif. Ces praticiens disent avoir retrouvé du plaisir à exercer. L’assistant leur permet de travailler dans des conditions moins stressantes et de se recentrer sur leur cœur de métier. Mais aussi, et c’était l’objectif, d’accueillir un peu plus de patients.
Les contreparties demandées aux médecins, comme l’accueil de patients supplémentaires, ont pu freiner certains à solliciter une aide à l’embauche d’un assistant. Comment les convaincre ?
N.R. : Ce n’est pas d’abord l’Assurance maladie qui convaincra un médecin d’embaucher un assistant, ce sont ses confrères qui l’ont déjà fait ! De ce point de vue, les partages d’expériences sont essentiels. Mais il faut comprendre aussi les freins. Certains généralistes redoutent de recruter directement un collaborateur salarié, notamment en cas de conflit ultérieur. C’est la raison pour laquelle nous avons autorisé que les recrutements puissent se faire par l’intermédiaire de groupements d’employeurs. Il faut que ces structures se mettent rapidement en place, soit à l’échelle nationale, soit dans le cadre des CPTS.
Quant à l’accueil de nouveaux patients, nous avons fixé des objectifs très raisonnables, en les modulant selon le niveau d’activité du professionnel. Les médecins expriment deux craintes parfois contradictoires : soit qu’on leur demande de trop fortement augmenter leur activité, soit de ne pas avoir assez de nouveaux patients sur leur territoire. Sur ces deux points, je tiens à rassurer : les médecins ayant déjà un assistant n’ont pas le sentiment d’une charge accrue pour atteindre leurs objectifs ; et le risque de manquer de patients sera, lui, très improbable compte tenu des départs à la retraite dans les prochaines années.
Entre septembre 2018 et septembre 2019, 60 000 actes ont été remboursés par l’Assurance maladie sur un objectif de 500 000 pour l’année 2019. La télémédecine est-elle vraiment une réponse à la désertification médicale ?
N.R. :La téléconsultation n’est pas faite d’abord pour régler la question des déserts médicaux mais surtout pour améliorer la qualité du suivi médical. Et cela décolle si l’on regarde la progression mensuelle du nombre de téléconsultations. Dans les premiers mois, il n’y en avait quasiment aucune. On en enregistrait 5 000 six mois plus tard en mars 2019, 8 000 en juin, 14 000 en septembre, et 23 000 en novembre. Le rythme s’accélère. Près de 3 000 médecins réalisent des téléconsultations, aux trois quarts des généralistes. Les praticiens se rendent compte que la télémédecine peut leur être utile au quotidien. Et les choses devraient s’accélérer encore avec la rémunération, depuis le 1er janvier, de l’infirmière libérale lorsqu’elle aide le patient à téléconsulter son médecin depuis son domicile.
Les premières téléconsultations ont eu lieu majoritairement en milieu urbain. Ne s’agit-il pas avant tout d’une affaire de « bobos » ?
N.R. :Non, pas seulement. Sur les 60 000 premières téléconsultations, plus de 30 % ont concerné des patients atteints de pathologies chroniques. Mais on voit effectivement se développer un marché de la téléconsultation de confort, d’ailleurs non remboursée par l’Assurance maladie. Nous voulons éviter ce modèle consumériste et industrialisé qui peut donner lieu à toutes les dérives. Voilà pourquoi la téléconsultation remboursée s’inscrit dans le cadre du parcours de soins. Nous avons posé pour principe le fait que le patient doit déjà avoir été vu dans les douze derniers mois. Nous voulons que la téléconsultation se déploie dans une relation médecin-patient établie sur la durée. Des dérogations sont possibles en cas d’indisponibilité du médecin traitant mais l’accès à la téléconsultation doit alors s’organiser dans le cadre d’une régulation organisée au niveau du territoire. Nous resterons vigilants sur ce point.
Un accord interprofessionnel a été signé en juin dernier. Qu’attendez-vous des CPTS sur le terrain ?
N. R. : Elles doivent partir des besoins des professionnels et leur apporter des solutions pour mieux gérer ce qui leur complique la vie au quotidien : mieux organiser la demande de soins non programmés ou le maintien à domicile d’un patient lourd qui nécessite l’intervention de nombreux acteurs paramédicaux et d’aide à la vie. Les CPTS, ce sont des moyens à la main des professionnels pour embaucher des collaborateurs, se doter d’outils de partage d’informations, libérer du temps pour la coordination. Les CPTS doivent être utiles aux professionnels et aux patients. On les a parfois assimilés à des usines à gaz ou à un carcan administratif imposé par la puissance publique. Ce n’est pas le cas. La preuve, 450 projets de CPTS émanant du terrain sont en cours. Les professionnels ont compris qu’ils avaient besoin d’agir à cette échelle et se sont saisis de cet outil.
« Seul un médecin sur cinq alimente le DMP »
Après 15 ans d’errements, le dossier médical partagé (DMP) gagne du terrain. Un an après la reprise en main par l’Assurance maladie, 8,5 millions de dossiers ont été ouverts. « Le DMP répond au besoin du patient d’accéder à ses informations médicales mais il doit permettre aussi aux professionnels de mieux partager l’information entre eux », explique Nicolas Revel. Pour autant, le DMP n’est pas entré dans les habitudes du corps médical. « Si seulement un médecin sur cinq alimente aujourd’hui le DMP, c’est parce qu’il existe une forme d’attentisme. Certains attendent d’y trouver l’information des autres avant de transmettre celle dont ils disposent. Il faut inverser la logique. Il faut que les généralistes prennent l’habitude de transmettre le volet de synthèse médical dans le DMP de leurs patients », poursuit le directeur de la Cnam.
En quoi le futur service d’accès aux soins (SAS) peut-il améliorer la prise en charge des soins non programmés ?
N.R. : Nous devons rendre les choses plus simples pour le patient en lui proposant une porte d’entrée claire dans le système, qui puisse l’orienter vers la bonne prise en charge. À défaut, on continuera dans les mêmes dérives avec des passages aux urgences qui ont doublé en 20 ans (21 millions en 2017). Le rapport de Pierre Carli et Thomas Mesnier propose la mise en place d’un numéro unique. En composant le 113, le patient recevra un conseil, se verra proposer une consultation ou une téléconsultation ou bien il sera orienté vers les urgences s’il a un problème grave. Numéro unique ne signifie pas régulateur unique, et les syndicats ont été clairs sur leur exigence d’un équilibre entre Samu et libéraux.
Des médecins ont lancé un mouvement de fermeture des cabinets les samedis pour demander que les horaires de permanence des soins s’appliquent après 18 h le soir en semaine et le samedi matin. Comment recevez-vous cette demande ?
N.R. : La PDSA ne relève pas des prérogatives de l’Assurance-maladie. Je ne porterai donc pas de jugement sur ce mouvement. J’observe seulement que beaucoup de cabinets médicaux fonctionnent au-delà de 18 h et le samedi matin – heureusement d’ailleurs – et qu’il serait compliqué de considérer, financièrement notamment, que ces créneaux relèvent dorénavant de la PDSA.
Concernant la rémunération, votre premier mandat a été marqué par le passage de la consultation à 25 euros pour les généralistes exerçant à tarifs opposables. Pendant votre second mandat, revaloriserez-vous à nouveau l’acte ou tablez-vous davantage sur la forfaitisation ?
N.R. :Les généralistes le savent, leur rémunération est mixte et tient compte à la fois du G mais aussi des forfaits et de la prise en charge des cotisations sociales. Si l’on devait reconstituer le tarif global d’une consultation, on serait au-dessus de 36 euros et non à 25.
Ce sujet sera abordé lors de la négociation de la prochaine convention. Par principe, je ne ferme aucune piste. Mais nous devrons nous poser la question de l’évolution des besoins, des priorités et des conditions d’exercice. On voit se dessiner des tendances à l’allongement de la durée de certaines consultations autour des enjeux de prévention ou de suivi des pathologies chroniques. Il y a le sujet des visites à domicile. Et, enfin, nous devons donner les moyens aux médecins d’exercer dans un cadre plus confortable et collectif, avec davantage de support matériel, informatique et humain. Je ne suis pas convaincu que le levier le plus efficace pour y parvenir soit celui du tarif de base. Mais nous en discuterons le moment venu.
Des syndicats réclament aussi de longue date la revalorisation des visites à domicile. Le sujet est-il à l’ordre du jour ?
N.R. :Nous observons une réduction du nombre de visites à domicile au cours des dernières années. C’est une tendance préoccupante. Nous avons élargi le champ de la consultation longue en 2016 mais il faudra certainement aller plus loin pour encourager les médecins qui en réalisent à continuer de le faire, et ceux qui n’en font pas beaucoup de s’engager davantage.
En cette nouvelle année, avez-vous un message à adresser aux médecins généralistes ?
N.R. :Même si elle a une responsabilité qui peut l’amener à être dans une posture de contrôle, l’Assurance maladie n’est pas là pour embêter les médecins libéraux mais au contraire pour les accompagner du mieux possible dans leur exercice professionnel. Nous avons conscience que l’exercice des médecins généralistes est sous pression. On ne peut plus demander à un généraliste de travailler de 8 h à 20 h et de tout faire, de soigner mais aussi de gérer l’administratif, l’accompagnement du patient tout en essayant d’avoir une vie personnelle équilibrée. Tout l’enjeu de l’Assurance maladie, dans les prochaines années, sera de faciliter l’évolution des modes d’exercice et d’aider les médecins à travailler dans de meilleures conditions.
Fermeté sur les nouvelles règles du NS
Le patron de la Cnam assume les restrictions à trois exemptions de la mention non substituable (NS). « La mention NS est apposée sur plus de 8 % de prescriptions de médicaments génériqués. Cela ne correspond à aucun rationnel scientifique, observe Nicolas Revel. La part des génériques dans la consommation de médicaments en France est de 30 à 40 points en dessous de celle observée en Allemagne, en Angleterre ou aux Pays-Bas. Il n’est donc pas illégitime de demander aux médecins de justifier la mention de la non substitution ».
Source : Le Généraliste